Chidori K. illustrations
1 mars 2021

Daily Archives

  • Secrets de fabrication de mangas, n°1 : les outils indispensables

    Avide d’apprendre les techniques des auteurs japonais, j’ai rapidement découvert qu’un matériel spécifique était utilisé par la majorité de mes artistes favoris. Bien sûr, il est toujours possible de réaliser de superbes planches au stylo bille sur du papier imprimante, mais j’ai assez tôt trouvé très stimulant de manipuler les mêmes outils que les mangakas qui travaillent de manière traditionnelle.

    Concernant le papier, le format s’avère particulier certes, mais rien de trop déroutant. Plumes et encre, bon, ces outils apparaissent classiques même si leur maniement est loin d’être aisé pour ceux qui n’ont pas appris à faire des pleins et des déliés sur les bancs de l’école. Mais la technique de mangaka la plus surprenante qui m’ait été révélée est… l’utilisation de trames ! Késako les trames ? À quoi ça ressemble, à quoi ça sert ? Vous saurez tout à la fin de cet article.

    • Papier réglé japonais, format B4

    Tout d’abord le papier. En France, les formats les plus courants sont A4, A3, etc, mais il existe également la série B, moins connue… Quant au format raisin et ses déclinaisons, il s’agit d’un format typiquement français, alors que  les séries A et B correspondent à des normes internationales. 

    Si le format couramment utilisé par les mangaka pour dessiner des planches est le format B4, après des arrachages de cheveux, j’ai réalisé qu’il s’agissait en fait d’un JB, un B spécifique au Japon, légèrement différent du B international.  Quoi qu’il en soit, cela consiste en une taille comprise entre le A4 et le A3, avec un rapport différent. 

    Plus encore que le format, la particularité du papier pour auteurs de manga est de présenter différentes règles et repères en bleu inactinique (bleu pâle n’apparaissant pas à l’impression). Ces marques s’avèrent autant de précieuses indications à la fois pour prendre correctement en compte les fonds perdus et aussi pour tracer plus facilement les cases. 

    • Crayon papier

    D’aucuns vous diront préférer le crayon bleu, qui présente les mêmes caractéristiques que les marges du papier. Avec le crayon bleu, les traits disparaissent sans gommage, à la photocopieuse et au scanner. Un excellent article vous révèle tous les secrets du bleu inactinique et la manière de le rendre invisible en le scannant. Cependant, probablement par habitude, je préfère le simple crayon de papier. Il me sert depuis les premiers croquis préparatoires jusqu’à la planche finale.  

    • Plumes et encre

    J’utilise des plumes de la marque Deleter et Tachikawa, les maru-pen et les G-pen principalement.  

    Si vous en avez déjà utilisé, vous avez certainement remarqué que le dessin à la plume n’est pas très “intuitif”… On se rend vite compte par exemple qu’on ne peut pas “remonter” un trait avec une plume, il faut penser à tourner son papier pour être toujours dans le sens du dessin. Aussi, attention aux bavures et accidents de toutes sortes. 

    Malgré ces difficultés, le jeu en vaut cependant la chandelle car les variations d’épaisseur du trait obtenues à la plume confèrent au dessin un rendu inégalable.

    • Gommes de différentes qualités

    Le dessin au crayon de papier implique le gommage des premiers traits après l’encrage. Pour cet usage, une gomme assez douce est nécessaire, afin d’une part de ne pas abimer le papier et d’autre part ne pas effacer l’encre noire.  

    Quant au travail des trames, des gommes beaucoup plus dures se révèlent utiles. Les gommes sable notamment font très bien l’affaire.

    • Trames

    Les trames, c’est ce qui fait toute la différence entre la BD et le manga ! 

    Il en existe de toutes sortes, de la trame simple qui produit les nuances de gris, aux fleurs de sakura en passant par des motifs abstraits. On trouve même des décors complets, tels des salles de classes ou des paysages urbains. 

    Ces trames sont donc tout d’abord utilisées pour créer les niveaux de valeurs, c’est à dire tous les différents niveaux de gris qui apparaissent sur une planche. À la plume, le mangaka n’a que le noir et le blanc comme options. Certes, les hachures permettent d’obtenir un rendu de gris, mais demandent du temps à réaliser. Les trames ont ainsi été notamment conçues à l’origine afin de gagner du temps et permettre à l’auteur dont la série est au sommaire d’un magazine de prépublication de suivre le rythme et produire les vingt planches requises par semaine.  

    Ensuite, au fur et à mesure, des trames très variées sont apparues, représentant des textures, des motifs,  des objets, etc. Ainsi des cercles, des scintillements, des ombres, des fleurs, sont autant d’éléments dans la palette du mangaka qui peuvent lui permettre, par exemple, de créer des atmosphères, véhiculer des émotions.

    Voici pour les raisons de l’apparition et de l’utilisation des trames. Mais concrètement, comment se présentent elles ? En fait, elles ressemblent un peu à ces décalcomanies qu’on avait en cadeau dans les chewing-gums de notre enfance, ceux qui faisaient des bulles. Ce sont des feuilles transparentes et autocollantes que l’on découpe à son gré et que l’on applique sur son dessin pour l’habiller ou le compléter. Les trames unies ou dégradées sont composées de tout petits point noirs alignés, dont l’épaisseur et la densité varient. Elles peuvent être superposées ou gommées ou grattées, ceci afin de produire différents effets tels des reflets.

    Si le mode d’emploi n’est pas compliqué, l’application requièrt beaucoup de minutie et de soin. Pour la découpe, un cutter ou scalpel font aussi bien l’affaire. Je me satisfais d’un cutter très basique.  C’est lors de la manipulation des trames qu’il est important de veiller à ce que l’espace de travail soit propre et exempt de poussières (et poils de chats, par exemple).

    • Le lisseur 

    Chez Deleter, il s’appelle le Tone Hera, c’est en fait une sorte de spatule qu’on passe en appuyant sur la planche, une fois les trames posées définitivement pour permettre leur adhésion. 

    Ce n’est pas indispensable, à vrai dire, l’utilisation du dos d’une cuillère produit le même résultat, mais cet accessoire fait quand même plus classe.  

    • En plus, petit carnet à nemu 

    Pour terminer de se la jouer définitivement comme un vrai mangaka, on peut aussi faire l’acquisition d’un petit carnet dont les feuillets sont remplis de mini-pages réglées comme le papier pour dessiner ses planches. Il permet de faire son story-board, ou nemu en japonais, et d’avoir une vision globale de son histoire. 

  • Le doujinshi ou le fanzine version japonaise

    Le doujinshi (同人誌) prononcé “dojinshi” ou souvent raccourci en “dojin”, signifie littéralement “document des mêmes personnes”, ce qui reste énigmatique, mais qui le devient tout de suite moins si je vous dis qu’il s’agit grosso modo de l’équivalent japonais du terme français “fanzine”.  

    Bon, il est possible que le vocable “fanzine” ne vous soit pas si familier que ça non plus, notamment si vous n’avez pas été punk à la fin des années 70 ou tellement passionné, quelle que soit la période, de bande-dessinée ou de littérature de genre, SF par exemple, au point de vous intéresser à la production amateur dans ces domaines.  

    En fait, doujin et fanzine, même combat : des publications amateurs, réalisées par des fans, pour des fans. (Le terme “fanzine” est né de la contraction des mots “fan” et “magazine”) 

    Avec quelques nuances : en ce qui concerne les fanzines, il s’agit souvent de sujets alternatifs, peu ou pas traités dans les médias classiques. Des trésors de culture underground s’offrent au curieux qui ne serait pas rebuté par ces feuillets photocopiés volontiers assez denses, à l’allure artisanale complètement revendiquée. Légers, sérieux, militants, les fanzines présentent de multiples facettes.   

    Les doujinshi, quant à eux, bien que consistant également en des travaux auto-produits réalisés par des passionnés, ils présentent la particularité d’être réellement très populaires au Japon et de prendre le plus souvent la forme de mangas ou de nouvelles. Dans ces œuvres, les fans développant leurs propres univers ou reprenant des personnages existant dans d’autres contextes.  

    En effet, les auteurs, qui peuvent être parfois des cercles de lycéens ou d’étudiants, aiment reprendre leurs personnages préférés de mangas, anime ou jeu vidéo, pour écrire les histoires qu’ils ne trouvent pas dans les versions officielles. Ils mettent en scène les couples qu’ils auraient aimé voir se former, réécrivent les fins qui ne leur conviennent pas, inventent le quotidien ordinaire de leurs héros extraordinaires.  

    On compare souvent les comikets (contraction de Comic Market) japonais à Japan expo. Mais ils sont en réalité très différents. Ce sont de petites tables alignées les unes contre les autres ou les cercles de doujin présentent leurs derniers fanzines en piles. Et surtout, on n’y trouve que des créations amateurs. Cependant, de nombreux auteurs déjà édités continuent à produire des doujinshi. ayant ainsi bien plus de liberté que sous la supervision d’un éditeur, tant pour les délais de production que concernant la liberté d’expression ou la ligne éditoriale, parmi eux, Ken Akamatsu sous le pseudonyme d’Awa Mizuno ou encore CLAMP.  

    Il existe également des salons qui ne sont dédiées qu’à une seule série, voire un seul couple au sein de la série.  Mieux encore, il existe des librairies qui ne sont constituées que de milliers de doujin ! Ils sont classés en fonction de la série dont ils sont inspirés. J’ai pu dénicher à Mandarake, une de ses chaines de librairies spécialisée, un fanzine basé sur la série Tiger and Buny dessinée par le cercle K2 company, celui dans lequel œuvre une de mes mangakas préférées, Kazuma Kodaka. 

    Comiket
    Japan expo 2015